La presqu’île, dont la forme évoque une grappe de raisins, située au nord de la Croatie, à la frontière de la Slovénie, est la bien nommée « Petite Toscane croate ». A perte de vue, les paysages de l’Istrie ne sont que succession de cartes postales avec, à l’horizon, le bleu azur de l’Adriatique ou les vignobles et les plantations d’oliviers ponctués par de petits et pittoresques villages perchés au sommet des collines verdoyantes. Un cadre idyllique qui a accueilli à Poreč, au mois de mai dernier, la trentième édition du Concours Mondial du Vin (CMB). Les 350 dégustateurs internationaux invités à déguster les 7.500 vins en compétition en ont profité pour réaliser une cure de malvoisie et de téran, les deux cépages emblématiques de l’Istrie.
Au début des années 90, la Croatie prend son indépendance et s’enlise dans 4 années de guerre qui affaiblissent sa situation financière avec comme conséquence la fermeture de nombreuses grandes entreprises publiques. Commence alors la privatisation du pays dont profitent de nombreux particuliers pour prendre possession de terres qui appartenaient à l’État. Nous sommes à la fin des années 90 qui marque la transformation du secteur viticole croate. La superficie des vignobles, autrefois tournés vers l’optimisation des volumes, s’est fortement réduite et l’attention s’est portée sur l’amélioration de la qualité plutôt que la quantité en privilégiant les terroirs aptes à produire des vins qualitatifs.
Ces 10 dernières années, les investissements étrangers et les aides européennes ont permis de métamorphoser le paysage viticole croate et particulièrement en Istrie où des dizaines de caves à l’architecture contemporaine et technologiquement performantes se sont créées. Des nouvelles parcelles de vignobles ont été plantées et un programme d’amélioration de la production et de marketing a été mis sur pied.
La Croatie, c’est 6.175 kilomètres de côtes incluant celles de ses 1.185 îles, 4 millions d’habitants et 30 millions de touristes qui sont plutôt attirés par la Dalmatie et par les villes côtières de Split ou de Dubrovnik. Le vignoble croate ne couvre que 17.600 hectares, une superficie relativement réduite qui explique qu’après avoir abreuvé les locaux et les touristes, il ne reste plus beaucoup de vin pour l’exportation. La meilleure solution pour savourer les vins croates étant de se rendre sur place. L’Istrie est la plus petite région de Croatie qui compte moins de 3.000 hectares de vignobles et n’a produit en 2021 que 87.000 hectolitres de vin. Une production qui est particulièrement bien mise en valeur par Vinistra, l’association des producteurs de la presqu’île qui en assure sa promotion en organisant, entre autres, chaque année au début du mois de mai un salon des vins qui réunit tous les producteurs et un concours international de malvoisie.
Un vignoble bicolore
Caroline Gilby (Master of Wine) est l’experte pour les vins balkaniques, elle nous explique qu’une grande attention est accordée aux types de sols spécifiques pour chacun des cépages. Deux principaux types de sols se partagent le vignoble. Les sols rouges chargés d’oxyde de fer qui sont consacrés à la plantation des cépages rouges et les sols blancs calcaires particulièrement bien adaptés à la production de vins blancs. Le sous-sol de l’Istrie est riche en calcaire comme on peut le constater en parcourant entre stalagmites et stalagtites les nombreuses grottes souterraines de la région ouvertes aux touristes. Les deux types de sols sont très fertiles.
Entourée sur trois côtés par l’Adriatique, l’Istrie jouit d’un climat méditerranéen, rafraîchi par les courants d’air froid qui descendent des Alpes au nord. En permanence, la vigne profite d’une douce brise constante qui vient soit du nord soit de la mer. Une climatisation naturelle qui modère les températures estivales, bienvenue pour garantir une douce maturité des raisins.
Deux cépages vedettes
Avec 76% de la production nationale, les vins blancs sont largement majoritaires.
Le malvoisie (malvoisia) est un cépage blanc dont les origines très anciennes pourraient remonter à la Grèce. On retrouve aussi le malvoisie tout autour de la Méditerranée, notamment en Italie où assemblé au cépage trebbiano, il est connu pour les célèbres chianti et frascati. En Toscane, c’est le cépage à la base du fameux vin doux vino santo. On le retrouve aussi au Portugal dans les assemblages pour l’élaboration du porto dans la vallée du Douro et à Madère. En France, dans le Roussillon, assemblé au maccabeu, il est très apprécié pour l’élaboration des vins doux naturels comme le rivesaltes, le maury ou encore le banyuls. En Istrie, c’est incontestablement la star des cépages. Il représente 70% de la production. Très populaire, on le sert dans tous les restaurants en carafe d’un litre comme vin «maison », bien frais et parfois légèrement frisant. Un vin aromatique, rafraichissant qui fait fureur sur les plages. Il existe deux types de malvoisies, le premier est un vin jeune de l’année, vif et frais, vinifié à basse température pour conserver les arômes de fleurs et de fruits. Le second est vinifié en contact avec les peaux du raisin, souvent élevé sur lie en cuve inox ou en fûts de chêne ou plus original en fûts d’acacia. Ce sont des vins plus onctueux assez ronds et profonds affichant une belle complexité. Le malvoisie donne des vins aux arômes fleuris et fruités assez onctueux avec souvent une touche de litchis, de sureau ou de pamplemousse. La bouche est ronde, équilibrée et harmonieuse, avec des notes salées et une amertume caractéristique du cépage.
Le téran ( terrano) est un très ancien cépage rouge cultivé en particulier dans la région de l’Istrie mais on en trouve aussi un peu en Slovénie, en Macédoine du Nord et en Italie. Il donne des vins assez tanniques, peu colorés aux éclats violacés, d’une acidité élevée et faible en alcool. En Istrie, il est souvent vinifié seul. Un peu rustique les premières années, il est conseillé d’attendre deux à trois ans pour apprécier ses arômes de café, de chocolat, d’épices, de fruits à noyau (cerise) et de fruits noirs (myrtille, mûre) et de réglisse.
L’Istrie, une destination œno-gastro-touristique
Outre la route, les deux accès les plus prisés sont l’aéroport de Pula, dans le sud de l’Istrie, desservi à partir de la Belgique par une compagnie low cost en période estivale ou, plus romantique, la ville de Poreč qui est reliée directement à Venice par ferry. Les œno-gastro-touristes éviteront le tumulte de la côte et séjourneront dans l’un des charmants villages médiévaux, comme Motovum situé au sommet d’une colline au centre de la péninsule. La vue est à couper le souffle (et heureusement pas l’appétit) mais c’est surtout au pied de cette colline que s’étendent les meilleurs terroirs de téran.
Les routes des vins en Istrie regroupent l’offre de 85 producteurs de vin. Des itinéraires qui proposent un grand choix de vins et de caves, des plus petits propriétaires produisant du vin de manière encore traditionnelle aux caves à la technologie la plus moderne en passant par des complexes vinicoles qui ont investi dans des infrastructures hôtelières de luxe et des restaurants gastronomiques. L’Istrie est un paradis sauvage et préservé où la truffe et l’huile d’olive sont rois sans oublier les poissons grillés ou préparés en croute de sel. Toutes les pièces du puzzle sont réunies pour assurer un séjour gourmand inégalable.
Importateur :
Il n’est pas facile de trouver des vins d’Istrie en Belgique. Les vins de la cave Agrolaguna, l’un des plus grands producteurs de vin, d’huile d’olive et de fromage, sont disponibles chez « Wines of Earth », à Neufchâteau. www.winesofearth.be.
Baudouin Havaux
Poreč, Croatie