Fruit du hasard, le chicon n’existe pas à l’état naturel. Inexistant il y a à peine deux siècles, il est pourtant devenu l’un des produits-phare de nos contrées. Tendre et juteux, il est particulièrement apprécié pour son amertume à une période où les salades se font plus rares, soit dès l’automne et durant tout l’hiver.
Si la France est aujourd’hui le premier producteur européen d’endives, devant les Pays-Bas et la Belgique, il ne faudrait pas oublier que notre chère Perle du Nord est en fait d’origine belge. On raconte même que le chicon serait né exactement en même temps que la Belgique, une identité qu’il plaît aux Belges de cultiver.
Une découverte accidentelle
L’« endive de Bruxelles » ou « or belge » ou « chicon » est née au XIXème siècle. A l’époque, la chicorée est le légume qui prédomine sur les étals des marchands. Lorsque la Révolution Française éclate, un paysan de Schaerbeek (qui n’était que campagne) doit quitter précipitamment sa ferme. Il décide alors de mettre son stock de chicorées à l’abri dans sa cave. Et pour qu’il soit bien protégé, il recouvre le tout d’une petite couche de terre. Les jours passent, les choses se calment. Lorsque notre homme redescend au sous-sol, il découvre que les racines de chicorées ont produit un étrange feuillage blanc. La chicorée witloof (terme flamand signifiant « feuilles blanches ») était née.
Vers 1850, Frans Bresiers, jardinier en chef de la Société d’Horticulture de Bruxelles, fait la même observation. Il comprend assez vite que si le chicon est blanc, c’est parce qu’il a poussé dans le noir. En fait, l’absence de lumière empêche la photosynthèse. Donc, sans chlorophylle, les feuilles ne sont pas vertes comme pour tous les autres végétaux, mais blanches.
D’abord tenu secret, le procédé d’obtention des chicons par des technique de forçage se développe graduellement, dès 1867, dans toutes les cultures maraîchères autour de Bruxelles. Si « witloof » est la toute première appellation, « chicon » est le nom que l’on doit à Frans Bresiers. Il reprend tout simplement le nom scientifique latin de la chicorée, chicorium.
En 1875, le botaniste Henri de Vilmorin présente le chicon à la Société d’Horticulture de France et le premier cageot est mis en vente aux halles de Paris en 1878. Le crieur à qui l’on demande le nom de ce nouveau légume répond alors sans plus réfléchir « endive de Bruxelles ». Le chicon est baptisé « endive » par les Français et cette appellation lui restera ensuite sans la référence adjective à la capitale belge.
Une culture par forçage
L’endive est une plante bisannuelle que l’on trouve d’octobre à avril. Sa culture est tout-à-fait particulière et se fait en deux temps. D’abord, un semis en plein champ donne des rosettes de feuilles un peu semblables à celles de la chicorée scarole et portées par une énorme racine. Les racines sont alors arrachées et effeuillées.
Pendant la phase entre l’arrachage et le forçage, elles sont conservées au froid, en évitant le dessèchement de la racine et du bourgeon, pour ensuite favoriser l’émission de nouvelles radicelles. Pour une reprise de croissance du bourgeon central, soit le développement du bourgeon apical sans développement de l’axe floral, les racines sont ensuite disposées côte à côte et « forcées », c’est-à-dire placées à l’abri de la lumière. Elles vont alors donner de nouvelles feuilles plus serrées et charnues, emboîtées les unes dans les autres et blanches.
De 1850 à 1975, toutes les endives sont produites sous terre de couverture. Aujourd’hui, trois procédés cohabitent pour le forçage. Dans le forçage traditionnel en pleine terre, comme pour le forçage en serre, les racines sont mises en terre, recouvertes d’une bâche plastique noire et d’un épais lit de paille jouant le rôle d’isolant. La terre est ensuite chauffée et l’endive met 4 à 6 semaines pour se développer. En forçage hydroponique, soit sans terre de couverture, les racines sont, en revanche, disposées dans des bacs de 1m x 1,20m, alimentés par une solution nutritive (solution hydroponique) dans une salle climatisée. Mis dans ces conditions particulières, le chicon met seulement 20 à 21 jours pour se développer. Etape finale quelle que soit la technique utilisée : les chicons séparés des racines sont parés manuellement et conditionnés tête-bêche dans des cartons et enveloppés dans un papier bleu foncé pour ralentir le verdissement.
Des atouts santé et nutrition
Comme toutes les salades, le principal atout de l’endive est sa faible teneur en calories : 17 pour 100 grammes. Elle ne contient ni protéine ni lipide. En revanche, elle regorge de nutriments. C’est une bonne source en vitamine A, vitamine B9, qui joue un rôle primordial dans la fabrication des globules rouges, vitamine C et vitamine K, qui renforcent le système immunitaire. Elle est riche en magnésium, manganèse, calcium et potassium. De même, elle nous apporte du cuivre et du fer. Elle fait partie des rares légumes qui contiennent un taux élevé de sélénium, un oligo-élément essentiel pour le bon équilibre de l’organisme et la prévention des cancers. Les acides organiques (quinique et caféique), présents en fortes concentrations, sont des antioxydants et antimutagènes puissants qui ont de grands pouvoirs antidépresseurs et anxiolytiques. L’endive est aussi diurétique et contient plus de 95 % d’eau ce qui permet de bien hydrater l’organisme. Riche en fibres, elle joue aussi un rôle sur l’élimination des toxines et sur le transit intestinal.
Il existe aujourd’hui trois sortes d’endives. L’endive blanche est la plus répandue. C’est celle aussi à la saveur la plus amère. L’Endigia ou endive rouge est une endive panachée issue du croisement de l’endive et de la chicorée rouge. Sa saveur est plus douce. Enfin, l’endive Carmine est issue du croisement entre trois variétés de chicorées : la chicorée Witloof, la chicorée de Vérone et la chicorée de Chioggia. Sa feuille est plus mince et plus croquante que les autres variétés. Sa saveur est un peu sucrée, avec un petit goût de noisettes.
Comment faire manger des chicons ?
Sur un toast au pâté à l’apéritif ou pour accompagner vos fromages et charcuteries, pensez au confit de chicons. Cela ressemble à s’y méprendre à du chutney, mais cette recette sucrée est une bonne occasion de tromper vos convives, surtout les enfants qui apprécient peu ce légume.
Alessandra d’Angelo