Pure opération de marketing ou ce vin très jeune vaut-il réellement le coup ? Tentative de réponse avec un vigneron et un caviste patron de restaurants.
A l’instar d’Halloween ou de Thanksgiving, deux fêtes importées directement des Etats-Unis, le jour du Beaujolais Nouveau revient chaque année dans le calendrier. La date est immuable : le 3e jeudi du mois de novembre. Pour le millésime 2019, ce sera donc le 21 novembre à minuit pile. Le slogan traditionnel « Le Beaujolais Nouveau est arrivé » va fleurir dans les bars, brasseries et restaurants. Entre ceux qui pensent qu’il peut repartir illico presto et ceux qui y trouvent leur bonheur, la discussion fait rage. Autour du zinc de préférence….
Un brin d’histoire pour ne pas mourir idiot et avant de passer au tire-bouchon. Le Beaujolais Nouveau s’est imposé comme un vin de rebellion. En 1951, les vignerons ont combattu une loi afin de pouvoir vendre « en primeur » leurs vins issus de la récolte de l’année. Jusqu’en 1985, la date de sortie variait annuellement avant qu’elle soit coulée dans le marbre. Néanmoins, sans le sens et le génie du marketing de Georges Duboeuf, un des plus négociants en vins de France, ce vin rouge, certes gouleyant mais très jeune, n’aurait sans doute pas dépassé les frontières de sa zone de production (au nord de Lyon et au sud de Macon).
Bien aidé par la star de la gastronomie hexagonale et futur chef du siècle Paul Bocuse, lui-même Lyonnais, il a déversé des hectolitres de Beaujolais Nouveau à travers le monde. Pour créer un vrai péhnomène. Avec, au fil des années, des excès notamment quant à la qualité du vin. Peu à peu le Beaujolais Nouveau est devenu synonyme de gros rouge qui tache et pèse encore aujourd’hui, souvent de manière injuste, sur la réputation de l’ensemble de l’appellation.
Faut-il ou non boire du Beaujolais Nouveau ? La mode a-t-elle vécu ? Un vigneron français réputé et un caviste-propriétaire de trois restaurants dans la capitale recentrent le débat.
« Je suis le premier à affirmer qu’il y a eu des exagérations dans le passé mais elles ont complètement été gommées, affirme Yves-Dominique Ferraud, vigneron de père en fils depuis 1882 à Belleville à quelques kilomètres de Villefranche-sur-Saône. Pour la génération de mon père, la production de Beaujolais Nouveau était très importante pour le chiffre d’affaires de l’année. Actuellement, cela représente encore 10 à 12% de ma production annuelle mais 65 à 70% est destinée à l’exportation. Vers l’Asie essentiellement. »
Car, au fil des années, l’arrivée du Beaujolais Nouveau reste certes imprimée dans les mémoires (merci le marketing…) mais a perdu de sa superbe. La folie des soirées Beaujolais Nouveau à gogo a un peu vécu sans pour autant avoir totalement été enterrée.
« 70 à 80% de mes clients commandent invariablement 6 à 12 bouteilles pour se faire une soirée entre potes, relate Jean-Luc Colin, caviste chez Godaert en Van Beneden mais aussi patron de trois établissements à Bruxelles (Le Villance, Le Petit Pont et Tissen). Dans mes restaurants, je le mets à la carte, j’en parle et les gens sont plutôt preneurs. Mais, soyons clairs, le phénomène dure du jeudi au dimanche et s’éteint.»
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« Ma réputation est en jeu car mon nom est sur l’étiquette »
Reste le débat sur la qualité du Beaujolais Nouveau. Petite précision importante : c’est bien du vin mais du vin très jeune puisque les raisins ont été vendangés en septembre et mis en bouteille en novembre.
« Je ne peux pas me permettre de produire du vin de mauvaise qualité parce que la plupart de mes clients sont des habitués. De plus, je mets clairement mon nom sur l’étiquette. Ma réputation est en jeu », renchérit M.Ferraud.
« Le cépage Gamay redevient en vogue auprès des connaisseurs, confirme Jean-Luc Colin. Parce qu’il produit des vins subtils et légers. Si vous travaillez avec de bons producteurs, et il n’en manque pas, vous ne pouvez avoir que des vins de qualité. Je pense à Jean-Marc Burgaud à Villié-Morgon, Damien Coquelet à Vaux-Renard, Georges Descombes à Villié-Morgon ou encore Karim Vionnet toujours à Villié-Morgon. »
Le vin, c’est comme l’amour. C’est une question de goût et de couleur. Le Beaujolais Nouveau a renié son passé. Fini le goût banane prononcé, retour aux fruits rouges, framboise et cassis.
« La qualité a nettement été revue à la hausse ces quinze dernières années», conclut le vigneron du coin.
A vous de goûter, d’apprécier (ou non) et de partager.
Jean-Marc Ghéraille